Un jour que je méditais, je contactais un féminin intérieur dont je n’avais encore pas fait l’expérience . Un féminin voluptueux et alangui, totalement offert et qui goutait avec gourmandise les délices de la vie. Je voyais des voiles colorés, des jardins aux senteurs d’orient et j’entendais, comme une douce mélopée  » Firdaous, Firdaous.. »

Plusieurs années plus tard, je me retrouve à Fès, joyau du Maroc. J’y suis pour la première fois et je voyage seule. Pour me loger, J’ai choisi un Riad, tout près de la médina, tout près de Bab BouJloud, la porte bleue. Je suis accueillie comme une reine et très vite on m’indique un endroit à aller visiter. Comme on me l’indique à plusieurs reprises, je décide de m’y rendre.

Me voilà au musée Batha de Fès, à quelques pas de mon riad. C’est un ancien Palais Royal et on y expose bien modestement quelques trésors, vestiges des splendeurs des temps passés.

A peine ai-je pénétré l’enceinte du musée que je sens une charge de chagrin s’abattre sur moi . Je pleure..Je pleure toutes les larmes de mon corps sans savoir pourquoi. Je m’assieds dans les jardins, je suis chez moi, ça n’a pas de sens, mais je suis chez moi.

En descendant la rue qui me ramène au Riad, mes yeux se posent sur une enseigne : Café Firdaous.

Firdaous…

Ça n’est que plusieurs mois plus tard que j’ai compris la raison de ce chagrin. Un jour que je me sentais assaillie au dedans de moi et profondément tourmentée, j’ai demandé et les mémoires du temps se sont ouvertes :

« Je vois des fontaines et de la végétation, des jardins. Je vois à travers ses yeux. Elle court, elle a peur, elle panique. Il y a du sang sur elle. Elle est défigurée..

Elle a été vendue par un marchand d’esclaves et achetée pour quelques roupies par un riche sultan. Elle n’est qu’une fille de joie mais sa condition lui plait car sa vie au palais dépasse de loin tout ce dont elle a rêvé .

Un homme vient souvent. Il la convoite. Elle lui sera offerte par le Roi. Il la défigurera d’un coup de poignard de peur qu’on la lui prenne.

Je sens d’autres blessures, au ventre, et d’autres encore, plus intimes ..

Elle finira sa vie cachée, dans la honte et dans l’incompréhension.

Je sens sa douleur, sa solitude et les voiles autour de son visage. Et je la sens s’éteindre comme s’éteindrait une bougie dont la mèche a trop brûlé, sans forme, sans âme. Elle est morte seule, assise au sol, adossée contre le mur d’une petite cellule, la minuscule pièce qu’on lui avait attribuée.

Je peux encore sentir sa joie lorsqu’elle dansait pour le Roi, je vois ses voiles virevolter autour d’elle et j’entends ses rires.

Je sens son espièglerie, sa fraicheur, sa jeunesse farouche. Mais je peux toucher son immense chagrin et la méfiance dans laquelle elle s’est abîmée; la soudaineté et le caractère inattendu du geste de cet homme ont marqué son âme au fer rouge. Son âme, mon âme..