Un matin,  mon chat est venu mordre ma main. Parce qu’il avait faim et que la nourriture ne venait pas assez vite à son goût, il a mordu « la main qui le nourrit ».. Il l’a mordue si fort et si profondément que l’infection s’est déclarée et qu’un traitement antibiotique s’est avéré indispensable.

Comme toujours, j’ai creusé.

J’ai d’abord vu ma difficulté à poser des limites et par conséquent, une tendance à me faire dévorer. Puis, la question du don, du don de soi, et l’Ange de me faire remarquer : »Tu ne donnes pas de manière charitable. Tu donnes parce que tu crois qu’il ne faut rien garder, et tu donnes à celui qui te semble en avoir le plus besoin. Mais si celui là t’a trompée, avant même que tu t’en aperçoives, tu lui auras donné. Ton principe du don est erroné, Nous allons te montrer pourquoi. »

Je me prépare alors à descendre dans mes profondeurs, cette fois dans les mémoires du temps…

Je traverse un désert de sel et quelque chose me dit que je me situe en haute Egypte. J’ai l’impression d’être debout sur un char, un petit char tiré par deux chevaux. Je vois leurs encolures, le sommet de leurs têtes et leurs oreilles. J’approche d’une cité blanche.

En pénetrant dans la cité je me retrouve dans une ruelle qui grouille de bédouins. Je peine à me frayer un chemin parmi tous ces gens et à ce moment dans mon corps, je ressens une très forte tension dans mon pancréas. J’entends « Abou Simbel » et je comprends que je me rends au temple. À l’instant où je conscientise cela, quelque chose se redresse en moi, qui me fait me sentir importante, noble.

Les douleurs dans mon pancréas s’intensifient, je remarque que ma peau est noire.

Je suis prise dans une sorte de marée humaine. La ruelle, telle un boyau, s’étend à perte de vue. Je suis prise au piège dans cette artère et la circulation y est plus que pénible. Cette masse grouillante donne l’impression de glisser lentement, comme la lave épaisse d’un volcan s’écoule avant de se compacter.

Les chevaux se sont résignés et sont étonnamment tranquilles. Je n’ai pas d’autre solution que de me laisser porter.

En voyant mon bras gauche, je comprends que mon corps est recouvert d’une sorte de tunique de maille tissée de fil d’or. Sur mon majeur gauche, une bague imposante, en or elle aussi et de nombreux bracelets ornent mon poignet.

Je sens que mon corps a la finesse et la souplesse d’un félin.

Je suis encore habitée par la conscience Lemuro-Atlante et je viens livrer ma connaissance aux prêtres du grand temple d’Abou Simbel.

La lente procession s’écoule depuis plusieurs heures à présent et le soleil se couche lorsque j’arrive au pied du  temple.

Voici mes frères qui m’attendent. J’ai voyagé seule depuis le temple d’Assouan où je réside.

C’est une grande cérémonie qui va se dérouler, où chaque sagesse ancienne est consignée. J’apporte ma connaissance à propos des secrets de l’atome, j’en suis dépositaire depuis l’effondrement d’Atl, et aujourd’hui je viens renoncer, consciemment, au pouvoir que cette connaissance me confère.

Aujourd’hui en quelques sortes, j’accepte de me diluer dans la foule et d’y disparaitre. Aujourd’hui je deviens anonyme. Je suis Nala, princesse Nubienne et pour payer mon lourd tribut, je viens rendre toute ma connaissance.

C’est le lendemain ou le surlendemain de la cérémonie. À l’aube, je longe une muraille d’ocre sur ma gauche. Je sens l’humide du petit matin.

Je suis enveloppée dans une couverture chaude et je vais, pieds nus, vers cet étrange destin qui se dessine sous mes pas.

Hier Princesse, aujourd’hui Va-nu-pieds.

J’ai gardé tous les bracelets d’or autour de mes poignets et de mes chevilles. Je les sens s’entrechoquer. Je sens la bague, à mon majeur gauche.

Je remarque la présence d’ un homme qui me suit du regard, sur ma droite. Il m’a vue sortir du palais. Son énergie est noire, je la sens, mais je n’ai plus accès aux mémoires du temps et quelque chose de moi se voit inexorablement sombrer dans l’oubli de qui je suis.

Je suis sans défense et ce qu’il me reste de lumière attire les profiteurs dont il semble faire partie.

Il s’approche.

Je sens en moi le choc de la chute, la violence de l’oubli. Voici donc, en chair et en os, le masculin auquel je dois me résoudre.

J’appelle intérieurement : »Seigneur, Seigneur tout puissant »..Mais le Seigneur ne répond pas. Les portes de la mémoire du temps se sont refermées, je suis perdue.

Je regarde à présent celui qui vient à moi et je cherche en lui quelque chose auquel me raccrocher. Il me tend la main, m’obligeant à découvrir mes poignets. L’or dont ils sont ceints ne lui échappe pas. Sa main se referme sur la mienne.

Je le suis, bien malgré moi, m’enfonçant dans les boyaux de la médina. Je n’en sortirai pas vivante.

Les odeurs de charogne et de putréfaction me submergent. Je vais mourir ici.

J’étais Nala, princesse Nubienne, et pour payer mon lourd Tribut, j’ai rendu toute ma connaissance.